mercredi 1 février 2012

Quand Bismarck chantait la Marseillaise



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Par Caroline BruneauMis à jour  | publié  Réagir
Le phonographe inventé par Edison, avec un cylindre sur leuqle le son était gravé. Norman Bruderhofer sous license Creative Commons.
Le phonographe inventé par Edison, avec un cylindre sur leuqle le son était gravé. Norman Bruderhofer sous license Creative Commons.
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C'est une découverte sensationnelle: le seul et unique enregistrement de la voix de Otto von Bismarck, chancelier allemand à la fin du XIXème siècle. Avec une surprise de taille pour l'auditeur, quand le vainqueur de Sedan se met à réciter l'hymne français…

1889. Le monde moderne découvre la machine à vapeur, la Tour Eiffel, commencée en 1887, domine désormais Paris. Aux États-Unis le célèbre Thomas Edison nourrit ses contemporains d'inventions toutes plus géniales les unes que les autres: l'ampoule à incandescence, la centrale électrique, l'amélioration du téléphone, et aussi le phonographe. Pour promouvoir cette dernière invention, il envoie un des ses collaborateurs, Adalbert Theodor Edward Wangemann, à l'exposition universelle de Paris. Afin de se faire de la publicité, Wengemann part faire un tour d'Europe. Son but: convaincre les hommes les plus célèbres de l'époque d'enregistrer leur voix sur la toute nouvelle «machine à parole» ou «Speakmachine».
Une de ses étapes le conduit le 7 octobre 1889 à Friedrichsruh, près de Hambourg, sur les terres du chancelier allemand. Otto von Bismarck est emballé par l'invention, et accepte d'être enregistré. Mais au lieu de se prêter au jeu publicitaire et de déclamer le message formel préparé pour lui par la compagnie


Otto von Bismarck à sa table de travail, 1886. License Creative commons.
Otto von Bismarck à sa table de travail, 1886. License Creative commons.

Edison, il se lance dans une improvisation en quatre langues (cliquer sur le lien pour entendre la voix du chancelier). Il commence par réciter les paroles d'une chanson populaire américaine «In Good Old Colony times», puis enchaîne avec une ballade allemande, avant de scander des vers latins sur la jeunesse. La vraie surprise arrive juste après, quand le vieux chancelier, l'unificateur de l'Allemagne, qui a humilié la France en 1870, entonne… le premier couplet de la Marseillaise. «Allons enfants de la patrie...» Le ton est ferme et sans hésitation, l'accent parfait. Il conclut finalement en allemand sur des conseils de modération adressés à son fils, des paroles assez ironiques alors que le vieil homme était connu pour son appétit pantagruélique et son amour de la bière.

Les cylindres dormaient dans les archives d'Edison

La venue de Wengemann, collaborateur du grand savant Edison, n'était pas passée inaperçue à l'époque. Les journaux allemands de la région de Hambourg avaient rapporté l'événement et les paroles enregistrées par le Bismarck. Mais le cylindre ayant servi à l'enregistrement était depuis considéré comme perdu.
Il se trouvait en fait caché derrière le lit d'Edison, dans une boîte en bois. En 1957, le contenu de sa bibliothèque, boîtes comprises, part dans les archives de l'inventeur. Il faudra attendre cinquante années supplémentaires pour que des chercheurs s'intéressent aux 17 cylindres abîmés entreposés dans ces vielles caisses. Un scientifique allemand, Stephan Puille, qui s'est spécialisé dans la restauration des très vieux enregistrements, est convié à travailler sur les cylindres. En entendant le nom du lieu de l'enregistrement «Friedrichsruh», qui est très distinct, il comprend que la découverte est sensationnelle, et qu'il s'agit de la voix du chancelier.
Les cylindres cachaient un autre trésor: l'enregistrement du Feld-maréchal Helmuth von Moltke, alors âgé de 90 ans. Le vieil homme commence par une phrase qui prend tout son sens aujourd'hui: «Cette nouvelle invention de Monsieur Edison est vraiment étonnante. Le téléphone [au lieu de phonographe] permet à un homme, qui est depuis longtemps dans la tombe, de faire encore une fois entendre sa voix et de saluer le présent». Il récite ensuite un extrait du Faust de Goethe et un bout de Hamlet de Shakespeare. La découverte est particulièrement saisissante, car c'est le seul enregistrement connu d'un homme né au XVIIIè siècle.
Lors de son voyage en Europe, Wengemann a réussi d'autres premières. Il a enregistré Johannes Brahms jouant la première de ses danses hongroises et a réalisé le tout premier enregistrement d'un morceau de Chopin, joué par le pianiste Otto Neitzel. Les monarques de l'époque ont été moins coopératifs: le tsar de Russie Alexandre III, l'empereur allemand Wilhelm II ont refusé de se laisser enregistrer, leurs voix restant à jamais inconnues. L'empereur d'Autriche et époux de Sissi Franz-Jospeh I se convertira plus tard au phonographe: on peut l'entendre encourager les troupes sur une bande de 1915.

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