vendredi 3 février 2012

Les risques d'une attaque israélienne contre l'Iran



L'Iran a annoncé mercredi 16 décembre avoir testé un nouveau missile d'une portée de 2 000 kilomètres capable de toucher Israël.

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L'Iran a annoncé par la voie de a télévision officielle le test mercredi 16 décembre dans la matinée d'un missile à longue portée. Il s'agit selon les médias iraniens d'un missile amélioré de type «Sejil 2» dont la portée est supérieure à 2000 kilomètres ce qui lui permet de toucher Israël et les bases américaines dans le Golfe persique.
L'essai intervient juste au lendemain d'une déclaration du chef des renseignements militaires israéiens selon lequel Téhéran est aujourd'hui très prêt d'une «percée technologique» qui lui permettra de construire une bombe atomique. Selon le général Amos Yadlin, l'Iran a aujourd'hui suffisamment de matière fissile pour construire une tête nucléaire et est prêt d'être capable de la fabriquer.
Cette déclaration et la montée des tensions depuis plusieurs semaines entre l'Iran et les pays occidentaux sur le programme nucléaire de la République islamique relance la crainte d'une intervention militaire israélienne. Nous republions un article de notre correspondant en Israël Jacques Benillouche sur les risques militaires et politiques d'une telle opération.
Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a été explicite lors de son intervention à la tribune de l'ONU: «Le défi le plus urgent à relever est d'empêcher les tyrans de Téhéran d'acquérir des armes nucléaires». Les iraniens ont reconnu qu'ils développaient une deuxième usine d'enrichissement d'uranium près de Qom et qu'ils ont acquis la technologie pour fabriquer des matières fissiles nucléaires. Leurs services de recherche travaillent par ailleurs en collaboration avec les Nord-Coréens pour la fabrication de missiles de longue portéedestinés à transporter les ogives nucléaires.
Le gouvernement israélien, s'il prenait la décision politiquement très lourde de conséquences, d'une intervention militaire en Iran, devrait aussi assumer des risques militaires et opérationnels considérables. Il est face à trois difficultés purement militaires considérables:
  • Déterminer les sites devant faire l'objet d'une frappe militaire.
  • Définir les moyens appropriés pour leur destruction.
  • Développer les capacités de renseignement.

Les trois sites visés
Si Israël frappe l'Iran, il devra le faire vite car il ne peut attendre que l'Iran améliore son système de défense aérienne, parvienne au terme de la fabrication et du développement de ses missiles à longue portée et réussisse à mettre au point des armes à l'uranium. Les experts militaires israéliens ont ciblé les trois sites principaux à détruire. Chacun d'entre eux a une fonction très précise complémentaire et leur neutralisation porterait au moins un coup psychologique fort aux rodomontades du pouvoir iranien et à Mahmoud Ahmadinejad. Il s'agit de Natanz avec ses centrifugeuses, Bushehr avec son réacteur nucléaire à eau légère et Arak avec son réacteur à eau lourde. Ces trois sites constituent le trépied du programme nucléaire iranien.
Les centrifugeuses de Natanz sont profondément abritées en sous-sol et protégées en surface par des missiles russes sol-air de courte portée, de type TOR-M. Cette usine produit de l'uranium faiblement enrichi qui permettrait à l'Iran selon des experts israéliens et américains de fabriquer des armes nucléaires aux environs de 2010.
Les experts hésitent à se prononcer sur la capacité des Israéliens à créer des dommages irréversibles au site de Natanz car les usines sont profondément enfouies dans le sous-sol à moins qu'Israël n'utilise les bombes GBU-28 fournies récemment par les Américains. Certains suggèrent cependant que l'Etat juif dispose dans son arsenal de bombes propres à variante nucléaire capable de faire exploser les galeries souterraines situées à plusieurs centaines de mètres de profondeur et pouvant pallier l'inefficacité éventuelle des bombes américaines. Mais le secret militaire reste bien gardé.
La destruction de Natanz pourrait entrainer un retard de plusieurs années sur le programme militaire iranien ce qui semble être l'objectif minimum recherché par Israël. Mais la proximité de certaines usines et d'agglomérations habitées par de nombreux civils pose le grave problème des dégâts collatéraux. Israël assure que ses armes électroniques sont suffisamment précises pour éviter d'atteindre les populations. Rien n'est moins sûr.
Bushehr est une centrale nucléaire construite par la Russie à des fins de production de plutonium. Elle n'est pas encore opérationnelle bien qu'elle ait été chargée en combustible cette année. Les Russes, qui s'attendent à une confrontation israélo-iranienne, ont déjà prévu des nouvelles livraisons de matériel de protection pour pallier toute attaque par les airs. En s'attaquant à cette centrale, Israël prend le risque d'une confrontation avec la Russie qui pourrait se sentir visée. Netanyahou a anticipé les éventuelles critiques en se rendant en secret à Moscou pour négocier une sorte de neutralité russe.
L'installation d'Arak dispose d'un système de protection efficace mais le risque attaché à ce réacteur ne pendra effet qu'en 2011, date opérationnelle prévue par les Iraniens pour la production de plutonium enrichi.

Stratégie militaire

Pour des raisons de sécurité, les Iraniens ont dispersé leur capacité de production dans  plusieurs régions et des bâtiments civils, servant de stockage, compliquant la tâche israélienne en cas de frappe. Les experts doutent donc de la capacité d'Israël à renouveler l'exploit de la destruction du réacteur irakien Osirak en 1981.
Les militaires ont à résoudre le problème fondamental de l'éloignement des sites visés des bases aériennes israéliennes. Ils savent qu'ils ne pourront disposer d'aucune aide de la part des Américains qui désapprouvent par avance l'opération et qui ne veulent pas subir les foudres de leurs alliés arabes.
La distance à parcourir par les avions de chasse, conçus pour de faibles distances, constitue un blocage technique car les cibles potentielles se situent entre 1.500 et 2.300 kilomètres de la frontière israélienne et le ravitaillement en vol à lui seul ne résout pas tous les problèmes. L'Iran, qui se sait menacé depuis plusieurs années, a conçu des systèmes de protection de ses usines, a éparpillé ses programmes nucléaires en différents lieux et a même développé des systèmes de remplacement, des «backup», en cas de frappe militaire. L'existence d'un nouveau site d'enrichissement près de Qom suffit à le démontrer.
Une attaque pourrait retarder le programme nucléaire comme le souligne le Secrétaire à la défense américain Robert Gates mais serait dans l'impossibilité de le stopper. Par ailleurs les Américains ont alerté les Israéliens sur le fait que le survol de pays arabes entrainerait leur réprobation et que leur action serait condamnée fermement à la fois par les pays arabes modérés, même s'ils en seraient peut-être officieusement satisfaits, par la Russie, la Chine et la majorité des pays européens. Cela n'inquiète pas outre mesure Israël qui n'a pas l'habitude de tenir compte des mises en garde quand son existence est menacée. Il existe un consensus en Israël sur le fait que l'émergence d'un Iran nucléarisé avec le régime actuel à Téhéran est une menace mortelle.
Israël dispose d'avions de combat, de capacités de ravitaillement en vol et d'armes de précision téléguidées air-sol permettant une frappe des cibles repérées. Il a prévu de contourner les défenses aériennes de ses voisins arabes qui d'ailleurs ne prendraient sans doute pas le risque de s'attaquer à l'aviation israélienne. Aucun chasseur par exemple n'a été engagé par la Syrie lors de la destruction de son usine nucléaire en septembre 2007. Mais des indiscrétions israéliennes expliquent cette neutralité par une arme secrète qui s'attaque aux radars pour les rendre aveugles et inopérants.
Israël s'exerce depuis longtemps à tester ses capacités d'intervention à longue distance. Trois F-15 ont couvert en août 2003 une distance de 2.600 kilomètres jusqu'en Pologne après ravitaillement en vol. Une escadrille d'avions israéliens a procédé en mai 2009 à des exercices pour les mener sans escale jusqu'à Gibraltar, située à 3.800 kms des bases, bien au delà de la distance nécessaire pour atteindre les cibles iraniennes.
Israël est aujourd'hui en mesure de lancer trois escadrons d'avions de combat, protégés par des chasseurs d'escorte, capables d'agir en une seule série de frappes contre l'Iran. Les outils de contremesures électroniques peuvent neutraliser ou annihiler les défenses ennemies. Les militaires, assez optimistes, considèrent que leurs pertes seraient minimes en cas d'obstruction due à l'action de missiles sol-air iraniens dont l'efficacité serait limitée grâce à leurs leurres électroniques sophistiqués.

Capacité de renseignements

Les observateurs ignorent si Israël réussira à détruire l'installation souterraine blindée de Natanz d'autant plus que l'Etat juif ne dispose pas d'outil de mesure des dégâts occasionnés. Par ailleurs, ses services de renseignements peu efficaces dans la région, sont à la recherche des sites non encore répertoriés avec l'inquiétude de ne pouvoir les atteindre. La surprise de l'annonce d'une nouvelle usine à Qom est éloquente en la matière. La menace d'Israël se précisant, beaucoup d'installations secrètes sont construites et échappent au contrôle des satellites d'observation. La détention de l'arme nucléaire ne suffit pas à elle seule. Elle est doublée par des usines de construction de missiles à longue portée nécessaires pour transporter une ogive nucléaire. Ces usines portent à une douzaine le nombre de cibles qui devraient être traitées par l'armée israélienne.
L'Etat juif est cependant limité dans son potentiel militaire. Quelle que soit sa force, il n'atteindra jamais la capacité de frappe massive des Etats-Unis tandis que ses lacunes sur le plan du renseignement risquent de ne pas lui permettre d'évaluer avec précision les dommages causés par ses frappes. Le Mossad aura fort à faire pour améliorer les moyens de vision d'Israël. Il devra être constamment à la recherche de toutes les nouvelles cibles résultant de la dispersion des unités de production iranienne.
En raison de leur éloignement, toutes ne pourront pas être visées lors de la première frappe et la sélection s'impose donc. Israël concentrera ses attaques sur un nombre limité de cibles quitte à recommencer, plus tard, si le besoin se faisait sentir. Mais il ne pourra pas toujours compter sur la neutralité de ses voisins arabes si l'opération venait à se reproduire et il ne pourra pas axer sa stratégie uniquement sur les faiblesses supposées de la défense iranienne. La solution à court terme viendrait de la mise au point d'un missile de longue portée israélien suffisamment précis pour être capable de toucher ses cibles sans le recours à l'aviation. Les chercheurs de Tsahal sont sur la brèche.
Jacques Benillouche
A lire également: Pourquoi Israël attaquera l'IranLa technologie des missiles iraniens est ancienneQue faire avec l'Iran? par Jean-Marie Colombani, Comment Ahmadinejad a truqué les élections et Iran: la résistance nargue sans cesse Ahmadinejad.

Image de Une: Lancement d'un missile iranien à longue portée depuis le centre de l'Iran  Reuters

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