On cherchait une autre Terre. Ils en ont trouvé deux.
Dans un article publié,
mardi 20 décembre, par la revue Nature, une équipe
internationale de chercheurs exploitant les données de l'observatoire spatial
Kepler de la NASA (que montre la vue d'artiste
ci-dessus) a annoncé la découverte de deux planètes extrasolaires de taille
comparable à celle de la Terre. Ces deux objets appartiennent à un système à
cinq planètes tournant autour de Kepler-20, étoile située à un peu moins de 1
000 années-lumière de nous et très semblable à notre Soleil, quoique légèrement
moins massive, moins chaude et moins lumineuse que lui. Sur ces cinq astres,
trois sont des mini-Neptune et deux des cousins de la Terre. Baptisés
Kepler-20e et Kepler-20f, ceux-ci sont très proches en taille de notre planète
bleue avec des rayons respectifs de 87 % et 103 % de celui de la Terre. "Pour la première fois de l'histoire de l'humanité, on peut
se dire : "ça y est, on est capable de détecter une Terre autour d'une
autre étoile". C'est même la première fois que l'on passe la barrière du
plus petit que la Terre", résume François Fressin.
Ce jeune astronome français de 33 ans, expatrié aux Etats-Unis au Harvard-Smithsonian Center for
Astrophysics de Cambridge (Massachusetts), est le premier auteur de l'étude
publiée dans Nature. Il s'est spécialisé dans
la recherche des petites planètes parmi les données qu'envoie Kepler depuis
2009. Cet observatoire en orbite autour du Soleil observe sans discontinuer un
catalogue d'étoiles situées dans la constellation du Cygne et autour d'elle.
L'instrument de Kepler est un photomètre, qui mesure les infimes variations de
leur lumière. Son objectif principal consiste à détecter la très faible baisse
de luminosité due au passage – au transit disent les astronomes – d'une
planète devant son étoile. Pour donner un ordre de grandeur, Kepler-20e et f
ont fait diminuer cette luminosité d'environ un dix millième. C'est peu, mais
largement suffisant pour que les spécialistes soient sûrs qu'il se passe
quelque chose, et encore plus quand ces "creux" dans le flux lumineux
se produisent à intervalles réguliers.
Cela ne signe pas pour autant la présence d'une planète car ces creux peuvent avoir d'autres origines. En
effet, si Kepler surveille en permanence un catalogue d'astres bien précis, il
n'isole pas complètement les étoiles du champ de vision où elles se trouvent.
Une étoile présente en arrière-plan peut ainsi être masquée par une des
planètes, ce qui se traduira par une très légère baisse de luminosité. Autre
possibilité envisagée, celle d'une étoile binaire à éclipses située dans le
fond de l'image : il s'agit d'un couple d'étoiles qui, dans leur valse,
s'occultent périodiquement l'une l'autre pour un observateur situé exactement
dans leur plan de révolution. D'où la nécessité, pour les astronomes, de
procéder à de fastidieux calculs et vérifications, explique François Fressin : "Tous les projets de recherche d'exoplanètes utilisant la
méthode du transit ont ce problème. On perd beaucoup de temps à s'assurer que
ce qu'on a vu est bien le transit d'une planète. Pour certains projets, le
ratio s'élève à une planète pour huit faux signaux qui sont dus soit au fait
que l'on est à la limite de la détection soit à d'autres sources
astrophysiques."
Pour traiter les données de Kepler, il a donc fallu
développer Blender. Derrière ce nom se cache un simulateur testant tous les
scénarios possibles. Ce programme tourne sur Pleiades, le plus gros
ordinateur de la NASA et le septième dans le monde par la puissance de calcul. "Tester un scénario requiert
un million de calculs, décrit le chercheur français. Et nous testons plus de 10 milliards de scénarios..." A chaque fois, il faut
dessiner la courbe de ces hypothèses alternatives et vérifier si elle correspond
ou non à la courbe mesurée par le photomètre de Kepler. Voir si le creux a la
même fréquence, la même durée, la même profondeur, la même forme. Les
astronomes procèdent ainsi par élimination et ne sont sûrs de l'hypothèse de
l'exoplanète que si elle s'avère plus de mille fois plus probable que n'importe
quelle autre configuration. Cela a été le cas avec Kepler-20e et f... mais pas
du premier coup. En 2010, avec la première année de données de Kepler, les
signaux étaient déjà là mais, explique François Fressin, "la première étude avec Blender n'a pas permis de tirer une
conclusion". Et pendant que Kepler moissonnait la lumière du ciel
pendant une année supplémentaire, les chercheurs ont raffiné leurs méthode et
technique d'analyse. Avec 670 jours de mesures, tout le système solaire de
Kepler-20 s'est révélé et notamment ses deux petites planètes. "C'est de loin la découverte la plus difficile qui ait été
faite dans le domaine des planètes de transit", assure François
Fressin qui n'exclut pas cependant la possibilité de trouver des exoplanètes
encore plus petites.
En attendant, ces deux-ci ont la bonne
taille pour être qualifiées de sœurs de la Terre. Mais on ne parlera pas de
jumelles. En effet, elles sont beaucoup trop proches de leur étoile pour qu'on
puisse les comparer au havre de douceur et de vie qu'est notre globe. La
première fait le tour de Kepler-20 en seulement 6,1 de nos jours et la seconde
accomplit sa révolution en 19,6 jours. Autant dire qu'une température de
plusieurs centaines de degrés Celsius règne à leur surface. Aucune des cinq
planètes n'est d'ailleurs située dans la zone dite d'habitabilité, celle où les
températures sont suffisamment clémentes pour que l'eau, si elle existe, se
trouve sous forme liquide.
Ce système solaire est en fait concentré en peu d'espace et tient dans l'orbite de Mercure,
qui est, "chez nous", la planète la plus proche du Soleil. Un
phénomène qui risque bien d'attiser l'intérêt des astronomes, souligne François
Fressin : "On a une curiosité dans
l'ordre des planètes de ce système solaire. La plus proche de l'étoile est une
sous-géante d'un peu moins de 2 rayons terrestres, puis vient la plus petite
des planètes jamais détectées à ce jour, Kepler-20e, puis une mini-Neptune d'un
peu moins de 3 rayons terrestres, puis notre quasi-Terre Kepler-20f et, enfin,
une autre mini-Neptune. Si l'on compare cela à notre système solaire où on
trouve d'abord quatre petites planètes rocheuses, puis quatre géantes, cela ne
rime strictement à rien. Pourquoi ce melting pot ?"Bien sûr, les astronomes
savent aujourd'hui que notre système solaire ne prétend pas être représentatif
de ce qui se passe en général dans les autres. Mais ils savent aussi que le
cortège de planètes accompagnant Kepler-20 n'a pas pu se former là où il réside
actuellement : il n'y avait tout simplement pas assez de matériel sur place, à
l'origine, pour constituer ces cinq objets. "Les
planètes ont donc dû migrer, explique François Fressin. Et lorsque les planètes migrent, elles se poussent et peuvent même
échanger leurs places. Il n'est donc pas exclu que Kepler-20f se soit un jour
trouvé dans la zone d'habitabilité de son étoile."
Pour le moment, le saint Graal des chasseurs de planètes extra-solaires, une planète de la taille de la
Terre située dans cette précieuse zone d'habitabilité, n'est pas à portée de
vue. "Je ne sais pas combien de temps cette
quête du Graal prendra, poursuit l'astronome français. Il faudra avoir une étoile vraiment semblable au Soleil, et, pour
la planète, une taille, une température, une composition, une atmosphère
identiques. Cette quête se fera de manière très progressive. Mais la découverte
que nous venons de faire est la plus importante de ces pierres angulaires car
la question de la taille de la planète est primordiale : on ne sait pas si la
Terre serait habitable avec un rayon de 50 % supérieur, on ne sait pas si
les planètes qui, en taille, font la transition avec des astres comme Neptune
sont rocheuses."
Il n'est pas sûr que Kepler puisse décrocher le gros lot
mais il devrait donner de précieuses informations sur la fréquence des planètes
de la taille de la Terre, avant de passer le relais à la génération des
télescopes géants comme l'European
Extremely Large Telescope, un monstre doté d'un miroir de près de 40 mètres de
diamètre que l'Observatoire européen austral (ESO) compte lancer au début de la
prochaine décennie au Chili. "Il ne faut pas oublier
qu'il y a 20 ans, on ne savait rien des planètes extra-solaires, rappelle François
Fressin, qui était adolescent lorsque les Suisses Michel Mayor et Didier Queloz
ont trouvé la première exoplanète en 1995. Aujourd'hui, on
en découvre de la taille de la Terre : sur le plan technologique, c'est
phénoménal."
En 2002, j'avais publié dans Le
Monde le portrait de l'Américain Geoffrey Marcy, un des
plus prolifiques découvreurs d'exoplanètes (il est également co-signataire de
l'étude de Nature). A l'époque, on ne
détectait que des planètes géantes, ce en raison des limitations qu'imposaient
les instruments. Mais Geoff Marcy, dans son bureau de l'université de Berkeley
où il enseigne l'astronomie, voyait ses collègues, concurrents et lui-même
comme des navigateurs approchant de la terre ferme : « C'est comme si nous étions sur un bateau, à 1 kilomètre de
la plage. A cette distance, on ne distingue que les gros rochers. Mais à
mesure que votre navire s'approche, les petits rochers apparaissent, puis les
galets et, quand vous accostez, vous voyez les grains de sable et, bien sûr, ils
sont les plus nombreux. C'est exactement ce qui nous arrive. Pour l'instant,
nous ne voyons que les gros rochers. Un jour, avec une autre technologie, nous
verrons les galets et les grains de sable. » C'était il y a moins de
dix ans. La prophétie s'est accomplie, nous commençons à voir les grains de
sable.
Dimitri mbouwe d’après
Pierre Barthelemy
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