Ce sont des monstres tapis dans des entrepôts anonymes protégés comme des banques suisses. Les
data centers, véritables
usines concentrant des dizaines de milliers d'ordinateurs et
engloutissant une énergie colossale pour alimenter et refroidir les
processeurs sont le cœur et le cerveau de nos sociétés informatisées.
Une panne et tout s’arrête. Et l’ennemi numéro un de ces unités de
calcul, c’est justement la chaleur qu’ils produisent.
Des supercalculateurs au chauffage domestique
Voraces
en énergie, une seule de ces usines numériques peut consommer autant
d’énergie qu’une ville de 100 000 habitants ; on estime ainsi que Google
à lui seul consomme 1 % de l’électricité des Etats-Unis et les 250
data centers
installés en France en absorbent 7 %. De plus, leurs exploitants
dépensent des fortunes en climatisation pour éviter le coup de chaud
funeste. Ce refroidissement peut ainsi engloutir jusqu’à 80 % du coût de
gestion de ces centres de calcul.
Toute cette énergie dispersée en vain a donné des idées à Paul Benoît.
Cet ingénieur X-Télécom qui a d’abord travaillé en recherche et
développement au sein d’une grande banque où il s’occupait des
supercalculateurs, crée sa petite entreprise en 2010 et dépose ses
premiers brevets.
Qarnot computing, ainsi baptisé en hommage au mathématicien français
Sadi Carnot, est lancé. Ce «
mordu de machines
», comme aime à se décrire Paul Benoît, imagine alors un système qui
capterait la chaleur des ordinateurs pour alimenter des radiateurs que
tout un chacun pourrait installer chez lui : le Q.rad est né.
En vrai passionné, il « bidouille » d’abord de son côté, avant de passer à la vitesse supérieure en s’associant avec
4MTec,
dont les bureaux ont été les premiers expérimentateurs de ces drôles de
radiateurs qui diffusent une chaleur douce. A priori, rien ne distingue
ces appareils de chauffage des autres : leur secret réside dans la
présence, derrière les éléments, de cartes mères qui remplacent les
résistances électriques.
Chauffage 2.0
Cet
appareil de chauffage 2.0, doté d’une forte puissance informatique, est
connecté à une simple prise internet et à une prise électrique chez
l’utilisateur. Les calculateurs intégrés font leur travail auprès des
entreprises clientes de Qarnot à qui ils fournissent des données qui
leur reviennent trois fois moins cher que via un
data center.
En même temps, ils apportent leur chaleur modulable chez celui qui
abrite les radiateurs « connectés ». Interrogé sur la sécurité, Paul
Benoît précise qu’«
il n’y pas de risques concernant les données traitées, puisqu’il n’y aucun stockage de celles-ci dans les radiateurs ».
Ce sont les entreprises de cinéma d’animation, les banques, les
assurances puis la recherche scientifique qui sont les premières
intéressées par l’offre de Qarnot. De l’autre côté, les potentiels
utilisateurs du chauffage sont pléthores. La totale gratuité de l’offre
pour l’« hébergeur », puisque Qarnot remboursera les factures
d’électricité, est de fait un argument de poids au moment où la
précarité énergétique
se répand. En France, par exemple, plus de 8 millions de personnes ont
des difficultés à payer leur facture de gaz, d’électricité ou de fioul.
Economique et souple
Après Télécom Paristech qui abrite déjà 25 Q.rad, on passe cette
année à l’échelle supérieure avec 300 radiateurs qui seront installés
dans une centaine de logements sociaux à Paris. D’ici deux ans, Paul
Benoît a toutes les raisons d’espérer que les hébergeurs de ses Q.rad se
compteront par milliers. Sa nouvelle carrière de « chauffagiste » ne
peut que prendre de l’ampleur alors que les fermes à serveurs, si
gourmandes en énergie, ne suffisent pas à répondre aux besoins
exponentiels de calcul de données des entreprises comme des chercheurs.
Comme toutes les bonnes idées, celle-ci semble si évidente qu’on se
demande comment personne n’y a pensé avant. En réalité, il existe
quelques réalisations destinées à transformer la chaleur résiduelle des
centres de traitement informatique de données en chauffage. Mais à la
différence de ce que propose Qarnot computing, ces procédés passent par
des
circuits d’eau chaude, bien plus lourds à installer et limités dans leur périmètre d’action.
Le concept porté par Paul Benoît a ainsi une longueur d’avance par se
souplesse et sa facilité de mise en œuvre. De plus, en faisant réaliser
des économies d’énergie, donc d’argent, il arrive à point nommé à un
moment où les tarifs d’électricité et de gaz connaissent des hausses
jamais vues.